Parce que c'est mieux qu'à la maison...

Quelle fin d'après-midi pourrie...
Il pleuvait à torrent à l'extérieur, et pourtant le bruit de la pluie contre la vitre n'effleurait même pas Valentine. Son coude posé sur la table, sa main soutenant son visage, elle regardait pourtant dehors, mais c'était comme si ce qui l'entourait ne la touchait pas le moins du monde. Devant elle, une chope de bière à moitié vide lui tenait compagnie, la meilleure compagnie de la journée. Une journée tout aussi pourrie que le temps.

A côté de la chope de bière, son téléphone portable était posé, plus pour lui permettre de surveiller l'heure que pour s'attendre à un quelconque appel. Elle n'avait laissé que le vibreur, au cas où... Les jambes croisées, un de ses pieds sans contact avec le sol battait une mesure aléatoire, sans qu'il n'y ait de musique pourtant. Où se situait l'erreur? Val ne saurait même pas le dire. La journée avait pourtant pas si mal commencé, elle était allée en cours, ce qui finalement était un miracle en soi. Elle prenait même des notes avec un certain intérêt, mais ce prof... Quelle andouille! Il l'avait accusé de dessiner plutôt que d'écouter. Bon, effectivement d'habitude c'était le cas, mais pas cette fois-ci. Et dire qu'elle était bien partie... Faire des efforts pour se faire descendre, merci bien! Lassée, elle avait fait son sac et s'était tirée en plein milieu du cours, sans plus prêter la moindre attention aux remontrances de cet imbécile de prof. De toute manière elle n'avait pas besoin de suivre le cours pour avoir la moyenne aux examens...

Une seule pensée traînait dans son esprit: sa bécane. Pour tuer le temps, elle s'était dépêchée de rentrer chez elle pour se changer. Il n'y aurait personne pour lui demander ce qu'elle faisait là, son père faisait les courses et sa mère... Bonne question! Toujours est-il qu'elle n'avait pas mis beaucoup de temps pour se rendre au Big Vibes avec les transports publiques. Pourquoi d'ailleurs? Simplement parce que la dernière virée en moto qu'elle avait faite s'était terminée avec le massacre pur et simple de ses pneus, suite à un freinage magistral sur l'autoroute. Si elle le revoyait, le petit malin qui avait eu la brillante idée de traverser les voies...

Enfin, normalement tout aurait dû rentrer dans l'ordre, mais le gros Teddy avait une mauvaise nouvelle: les pneus neufs de sa Mamba n'avaient pas encore été livrés. Elle savait qu'elle aurait dû demander une Harley, au moins Teddy ne manquait jamais de pièces pour cette marque, contrairement aux italiennes. Démoralisée, elle ne pouvait même pas aller noyer son ennui avec les collègues des Hell's, le bar proche du Big Vibes ne se remplissait de motard qu'à la nuit tombée. Sans doute la plupart de ses potes étaient soit au boulot, soit dans une virée quelconque. Elle aussi aurait bien voulu se faire une petite pointe de vitesse, surtout que la pluie lui aurait fait un merveilleux entraînement. Mais pas aujourd'hui.

Finalement elle s'était glissée dans ce bar, pas très intéressant pour le moment, mais accessible lorsque la pluie avait tourné aux cordes. D'ailleurs les cheveux rouges de Valentine lui collaient encore au visage et son blouson de cuir, posé sur le dossier de sa chaise, portait encore quelques gouttes de pluie. Heureusement pour elle son jeans moulant avait été quelque peu épargné par l'eau, même si ses bottes à talon aiguilles étaient à la dernière limite étanche qu'il leur restait.

[Libre!!^^]

Le Conseil d'Administration passé, Emmanuelle n'avait pas souhaité que son chauffeur la raccompagne. Il avait pourtant insister, poliment certes mais avec la franchise dont il faisait toujours preuve, que ce n'était pas sérieux de marcher par ce temps, qu'elle allait prendre froid...
Une dernier discussion protocolaire avec l'un des Administrateurs et déjà, Emmanuelle s'éloignait sous une petite pluie.

Qui vira vite au déluge.

Elle sortit de son sac à main un petit parapluie pliant, mais le pauvre petit objet souffrait le martyr devant la force du vent et des averses mêlées. Il se retourna plusieurs fois, laissant craquer les armatures de fer comme si elles agonisaient, mais le parapluie tint bon tout de même.
Du moins assez de temps pour qu'elle traverse la rue piétonne de tout son long pour marcher d'un pas soutenu et trempé jusqu'à un abri.

A croire que le Hasard avait voulu que l'endroit le plus accueillant proche d'elle se trouvait être le Bar à Qui. Elle poussa la porte vitrée avec soulagement, déposant son parapluie plus que trempé dans le grand tube de terre qui en contenait déjà beaucoup, eux aussi mouillés jusqu'au manche.
Elle retira immédiatement son manteau, une veste qui lui arrivait mi-cuisses de couleur beige, signée d'un couturier renommé dans la ville.

Ses cheveux avaient été mouillés malgré les efforts du parapluie, mais elle n'était pas aussi trempée que la jeune fille qui semblait rêver en regardant l'averse heurter les carreaux...
Emmanuelle réalisa alors que cette jeune fille précisément, était sa fille.

Que faisait-elle ici en plein après midi ?!

Immédiatement, Madame le Maire se précipita vers la table où se trouvait Valentine, n'y croyant pas vraiment, mais la mine décontenancée.

" Valentine ?! Qu'est-ce que tu fais ici ?! "

Lança la Femme d'une voix qui trahissait son état de choc mais aussi une angoisse maternelle dont elle faisait souvent preuve.

Quelle pluie...
Les maigres rempard que possédaient les passants se retournaient comme des crèpes sous le vent. Pendant un moment, Valentine eut un léger sourire en voyant un parapluie aux couleurs criardes rouler sur un trottoire, poursuivie par un propriétaire déjà trempé. L'image lui paraissait n'être qu''un rêve tellement lointaint qu'elle n'en avait finalement pas réellement conscience, un peu comme ce sourire qui s'effaça de lui-même, sans qu'aucun autre changement ne vienne marquer ses traits. Ce songe lointain aurait pu durer encore éternellement, ça n'aurait pas déranger la rêveuse en herbe. Pourtant...

*Ding!*

La petite cloche qui lançait un faible tintement à chaque nouvelle entrée n'éveilla même pas Valentine. A vrai dire elle n'avait regarder que les deux out rois premiers clients entrés après elle, ensuite elle s'était habituée à la sonerie, ne relevant même plus les yeux. Encore quelqu'un qui venait soit retrouver des amis, soit s'abriter de la pluie et prendre quelque chose de chaud à boire.

Citation :: " Valentine ?! Qu'est-ce que tu fais ici ?! "

Son expression ouvertement songeuse se ferma brutalement. A peine une lueur de surprise fit le lien entre les deux. La voix de sa mère l'incita pourtant à se redresser. La boulette... Il ne manquait plus que ça! Elle assise devant une bière alors qu'elle aurait dû être en cours. Heureusement qu'elle avait pris l'habitude de monter des bâteaux à volonté. Mais bon, ça viendrait plus tard.

"Salut quand même... "

Pas de bonjour, pas de sourire, juste ce fichu ton de soucis maternel auquel Valentine ne croyait plus depuis longtemps. Voilà un mystère de résolu sur les absence maternelle. Déjà que son travail était lourd, si en plus elle passait son temps libre dans les bars, c'est clair qu'elle ne pouvait être qu'une mère irresponsable, non?

"La vrai question c'est qu'est-ce que toi, tu fais ici. T'es pas censée bosser sur un quelconque projet?"

Quelle belle image, Madame le Maire, que cette fille qui semble n'offrire en retour qu'un ton blasé et vide de tendresse filliale.

"Moi j'ai une bonne raison, mon prof de chimie est malade, on nous a donné congé pour l'après-midi."

Ah, le voilà, le bâteau en question. En fait elle aurait presqu'eu envie de dire franchement qu'elle avait séché les leçons aujourd'hui, mais dans un endroit publique, Valentine préférait plutôt éviter un esclandre.

Emmanuelle s'assit en face de sa fille en le cessant de la fixer du regard. Son oeil exprimait, au départ, la crainte : était-il arrivé quelque chose de grave pour qu'elle ne soit pas en cours ? Séchait-elle encore une fois l'école ?!
Mais devant cette excuse, car elle était persuadée que tout était un gros mensonge, Emmanuelle n'eut pas la force de la contredire ou de douter de ses mots.

Elle se contenta de l'observer d'un air mêlant reproche et suspicion. Car malgré le fait qu'elle ne souhaitait pas -encore une fois- entamer une dispute qui se conclurait par le départ précipité de l'une ou l'autre, Emmanuelle cherchait tout de même ce qui pouvait pousser sa fille à rester ici alors qu'elle aurait dû se trouver en étude, ou chez eux.

Aux paroles de la jeune fille, Emmanuelle eut pour première réaction de vouloir se justifier, comme si effectivement elle avait besoin de lui expliquer. Mais, se ravisant en réalisant qu'une fille n'a pas à parler ainsi à sa mère, elle prit une voix plus autoritaire, mais légèrement peu crédible.

" Je te prierais de me parler sur un autre ton ! C'est à moi que tu dois des explications, et non l'inverse. "

Mais, comme si elle était incapable de trop de sévérité, elle leva les yeux pour soupirer. Une serveuse vint à leur rencontre et Emmanuelle coupa la conversation un instant :

- Vous désirez ?

" Tu veux quelque chose ? Je prendrai un café, s'il vous plait. "

La serveuse acquiesça, attendant visiblement la commande de la jeune fille.
Emmanuelle reprit alors, la voix plus douce, comme lasse.

" Je n'avais pas envie de rentrer tout de suite à la maison. J'ai été surprise par l'averse et c'était l'endroit le plus proche et à l'abri. "

Se justifia-t-elle, comme si elle souhaitait un peu de proximité avec sa fille. Cette relation inexistante lui manquait, elle aurait espéré qu'avec Valentine, les choses se seraient passées plus facilement, mais ces deux là étaient opposées... Et l'adolescence de l'une n'était pas pour arranger les choses !

Ouais, bien sûre, elle ne la croyait pas. Le soupire maternel en disait long, mais pourtant, maman n'émit pas de remarque énervante pour une fois. Ce n'était pas plus mal. Il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas étaler, même si elles sont fausses. Ce n'était pas plus mal. D'ailleurs au point où elles en étaient l'une envers l'autre... Valentine avait de loin passé le stade de l'énervement systématique. Ces colères la fatiguaient, mais c'était pourtant incontrôlable. Elle avait beau se dire de ne rien faire contre les règles maternelles, c'était plus fort qu'elle, il falait qu'elle provoque. Heureusement qu'il y avait du monde dans le bar. Bon, Valentine était grillée de toute manière, alors... La serveuse lui jeta un coup d'oeil suite à la commande de sa mère. Encore du café... Les adultes ne se rendaient-ils donc pas compte que la caféine est un fléau? Bon, c'était pas avec sa bière qu'elle allait donner des excuses. Elle leva sensiblement sa choppe à l'intention de la serveuse.

"C'est bon, je suis servie."

Et puis elle n'avait vraiment pas envie de se faire offrir un truc par sa mère. Certes, elle ne se plaignait jamais de l'argent de poche, en toute mauvaise foi, mais la perspective de se faire offrir un truc en publique la révulsait. Etrange sentiment quand tout ce qui vient d'une personne peut vous sembler faux et hypocrite. Les mauvaises influences de l'adolescence, très certainement. En tous les cas elle ignora superbement le ton pseudo-autoritaire. Si encore elle avait été convaincante... Mais en plus elle supprime toute crédibilité en se justifiant. Sur le coup, Maman aurait mieux fait de se taire, n'est-ce pas? C'était d'un ennui...

Valentine affronta le regard de sa mère suite à sa réponse à la serveuse. La prochaine remontrance devrait finalement tomber, n'est-ce pas? Le genre comme quoi boire de l'alcool, c'est mal. Mais Valentine était majeure et elle avait besoin d'un remontant. Une bière, c'était encore light, elle aurait pu se prendre un cognac ou pire encore. Là, ça allait.

"La maison est toujours aussi peu intéressante, hein..."

Et pour une fois, il n'y avait aucun défi dans la voix de Val, juste un fait affreusement sinistre, le genre de fait qui déchire une famille. Valentine était aussi mal à la maison que sa mère finalement. Quand l'une allait se saouler avec une bande de motard, la seconde allait se tapper son amant. Encore qu'elle n'en était pas certaine, mais vu le peu de présence d'Emmanuelle au foyer, Valentine en venait tout naturellement à ce genre de conclusion, même si jamais elle n'avait évoqué le sujet. C'était déjà assez pénible pour son petit frère, si elle devait en remettre une couche, ce sera uniquement quand ce dernier sera assez grand pour comprendre et limiter les dégâts émotionnels.

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