[Bureau de Zahikel] La 3ième Chance

La "réserve" se trouve un étage en dessous de la grande salle ouverte au public, elle semble menue, mais ça et là, se dissimulent quelques couloirs serpentant les entrailles de l'auguste bâtiment.
En y plongeant, l'on pénètre en l'enclos d'une intelligentsia littéraire, étroite et tamisée, ses murs sont couverts de livres prestigieux et d'éditions souvent limitées, qu'éclaire une unique fenêtre, elle-même croulante sous le poids des vanités de ses oeuvres en plus de l'ouverture vers les cieux, perdue entre deux escaliers.
Ces escaliers aux riches boiseries se tordent vers les hauteurs, menant son visiteur vers la lumière et la fraîcheur vive de l'extérieur pour l'un, au couloir étroit et sombre vers la moiteur d'une étude appliquée de lecteurs diverses, pour l'autre.
On murmure que mains écrivains et poètes prestigieux y tinrent leurs réunions secrètes pour y débattre du monde et de son devenir.
Cette opuscule était désormais, l'organe décisif du Gardien Supérieur.

Les sous-terrains d'Adonis étaient nombreux, dédales de pièces plus ou moins remplies, chambre quasi-secrètes et trésors dûment protégés...
Du côté sud, on pouvait apercevoir, laissant le regard vagabondait, les cimes de la forêt de Rockwood, entravées de l'abbaye et de son caveau, seule ombre lugubre, mais après tout sereine.
Un paysage épuré et presque sauvage que le soleil inondait régulièrement, frappant les vitraux de chatoyants rayons, parfois aveuglant.

Tableau qu'il avait tout loisir d'admirer, plus ou moins pensif, en son antre. Zahikel avait ménagé l'une des pièces pour s'y établir, elle n'était pas bien grande, mais suffisait à un célibataire, muni d'un stricte nécessaire, semblant vétuste, mais pourtant d'une élégance sobre, à l'image de son habitant.
Une petite annexe, jouxtait "son appartement", il y avait entassé tout ce qui lui avait parût superflus.


Mais revenons en à son attente actuelle, il est penché là, le regard qui le porte loin, vers les cieux, interrogeant encore les astres d'éternelles ritournelles.
Zahikel patiente, on lui envoie le plus étrange Gardien qui lui ait été donner de voir, une âme Gardienne, presque déchue.
Ironie céleste? Yhavé lui avait-il fait un clin d'oeil de mauvais goût?
Qu'importe les questions, la mission reste à accomplir, et pas des moindres, cette fois, ce ne sera pas un rôle d'insinuation, mais bien celui de guide, de maître devant un élève déboussolé.
Il connaît déjà sa vie, il l'a lu, il sait aussi sa mort, son après vie, il n'attend plus que lui.

Si un jour cette chemise avait été blanche, ce n'était plus qu'un lointain souvenir. La couleur grisâtre ou kaki qu'elle revêtait était indéfinissable mais il y avait un mot qui la décrivait parfaitement et auquel Zahikel pensa sûrement : 'dégoûtant' !

Le constat de son pantalon, enfin ce qu'il en restait, n'était pas plus glorieux...
Les franges, loin d'être prévues ni de suivre une quelconque mode, donnaient un aspect réellement usé aux pants sales et marrons de boue. De plus, il semblait que le temps l'avait mangé petits bouts par petits bouts, et même s'il semblait bien que ce fut un jour un pantalon, vrai de vrai, il ne restait de lui qu'à peine la taille d'un short... Avec des franches qui arrivaient un peu sous les genoux, certes.

Oui oui, ces vêtements provoquent déjà de belles nausées dans les esprits non préparés mais la suite est pourtant bien au délà de ces petits détails !
En effet, ces vêtements sur cette loque non-humaine semblaient d'une classe inouïe devant l'aspect du corps de ce qui devait être un Gardien...

Des cheveux longs et pouilleux semblaient être le foyer idéal d'une tribu de parasites qui se sentaient tranquilles comme au Club Med ! On aurait presque cru qu'on pourrait les essorrer pour récupérer de l'huile de friture...
Une chose est sure : cette chevelure était un trésor pour la recherche.
Une bio-diversité exceptionnelle !

Vous pensez être arrivé au pire ? Détrompez-vous tout de suite !

La main qui s'approcha de cette forêt luxuriante de poux et autres petites bestioles laissa entrevoir des ongles... des ongles...
Beuahhh comment vous dire ça ?!?
Je commencerais par expliquer que sur la plupart des doigts ne restait que le souvenir d'ongles qui avaient trépassés aux dents ravageuses d'un drogué en manque de sa dose, et sur les autres, nous aurions encore préféré que ce soit de même... Malheureusement, ce n'était pas le cas : Sur les autres doigts, les ongles incrustés de noir laissaient par endroit entrevoir un rouge foncé, sans aucun doute du sang séché... un amalgamme de couleur dégoûtante que n'importe quel peintre n'aurait jamais osé !

N'importe quel esprit sain serait peiné, voir traumatisé, de découvrir qu'il est possible d'autant martyrisé son propre corps !

Mais la pire des visions, pire que les escarts sur les jambes, pire que la minceur des bras, pire que la chevelure puante, et encore pire que ces déchets d'ongles, vînt vous frapper en plein dans l'estomac !
L'estomac parce qu'avec une telle vue, peu de personne pourrait s'empêcher de vomir...
Donc cette pire des visions, ce fut lorsque sa main finit par écarter les cheveux - comment pouvait-on toucher à une telle abomination ? - pour laisser découvrir son visage...
Je ne préfère pas vous le décrire, de peur de traumatiser une grande partie de la population !

C'est donc à ce moment là, un peu stone et totalement zen, que Max dit avec une voix traînante, grave, et en même temps insouciante :

" C'toi Zahikel ? On m'a demandé de venir te voir ! "

Un grand fracas, une avalanche, éboulement de pages et de mots qui enterrèrent celui qui était, déjà mort.
Zahikel fronça les sourcils, quelques nuées âcres se font sentir, odeur pesante et étouffante. Si les livres pouvaient crier, le fumeur se trouverait sourd en quelques secondes, sous la furie de leur mots, hurlés tout haut.
Et, au sommet de l'explosive roche d'encre, le bibliothècaire siègeait, observant les malheurs de quelques pages abîmées.

Le condamné au sursit se montrait enfin, dissimulant ce qui restait de lui, dans l'encadrure protectrice d'une porte invisible: un pas de plus, et sa vie, ou plutôt, sa mort, se verra prendre un autre tournant, une bourrasque dispersant ses hardes au vent, épurant ce qui avait été, pour un devenir.

Même les déchus, ont un avenir.


La créature rencontra enfin la lumière, et celle-ci s'offusqua du replis sur soi, qu'une telle apparence avait enchaîné, conséquence du laisser aller.
Mais si la lumière, révèle sans voiles, Zahikel, lui, baissa les yeux, détaillant cette ombre d'âme, des pieds à la tête, souriant en coin.

Qu'avait du penser la famille qu'observa le monstre de Frankeistein, quand celui-ci se présenta à eux, avec le seul désir de s'en faire des amis?
Il n'avait pas pensé, ils avaient jugés, et fuis.
Le bibliothècaire, avait vu, bien des hommes mutilés, à l'âme écorchées, l'esprit en lambeaux, alors prenait-il un peu de fil.

*Il lui faudra d'abord un bon bain*

Et quoi de mieux qu'une pluie divine?
Que la nature envoie, nourrissant la terre, de ce cadeau limpide, venu du ciel?

"Tu voleras, Corbeau, et même si tu ne pourras jamais retrouver pleinement tes allures de colombes, au moins, apprendras-tu à retrouver l'estime que certains eurent en toi. Répondit-il à l'amas de chaire lui faisant face.
Même si quelques plumes devront en payer le prix.
Pour vous, je serai Maître Zahikel, et vous m'appellerez Mr Kadamon en présence de vos pairs et mortels."

La consigne succédait à l'étrange prophétie, et ses airs chaleureux prirent une autre tournure, Zahikel s'était approché de celui qui se pensait déchet, il posa sa main sur son visage, comme l'on saisit une rose, pour en humer l'effluve, et plongea son regard, dans les brûmes éperdues de l'ancien Constantin.
Regard glacé, pourtant d'or, il souffla le brouillard d'une percée acérée, obligeant l'aîlé récalcitrant, à affronter le réel, plus distinctement.

"Trop longtemps à vous laisser envahir sans lutter, les Enfers vous tentèrent tant?
Vous êtes ici, proche de leurs entrées, et le néant est d'une vorace intransigeance, qui se nourrit des plus faibles existences.
Voulez-vous, à ce point, servir de gibier?"

Posture étrange, que cet être à l'aura étincelante, qui caressait maintenant la joue d'une créature répugnante, sans une once de dégoût.
Et si le geste était doux, le regard, lui, restait de lame, coupant à vif, les infections à cautériser.
Tranchant en cette muraille empoisonnée, faîtes d'opium et d'un bien-être factice, souvenirs perdus, des airs et des vues, d'anciennes gloires aujourd'hui disparrues.
Il imposait à cet esprit fragilisé, la vision de ce qu'il fut, en ses ailes de métal, en des temps que les hommes ne pourront oublier, et enfin, son image, son reflet, ce qu'il était devenu, confrontant les deux aspects de temps révolus: le prestige, le déchu.

"C'est la danse ultime, avant le baiser funèbre qui engloutira toute flamme.
Il faudra raviver la votre, et affronter le vent, pour s'en gonfler et non s'éteindre.
Je vous y aiderai.
Mais si vous n'osez rien entreprendre, n'attendez pas de moi, de la pitié."

Il lui avait fallu une semaine pour se décrasser des années de non-soin.
Une semaine pour retrouver une peau d'une couleur à peu près humaine.
Une semaine pour s'apercevoir qu'il pouvait y avoir sous cet amas de saleté un être humain.
Une semaine pour prouver qu'il pouvait avoir des cheveux soyeux à la place des filets à frites.

Pendant une semaine entière, il avait pris soin de lui à outrance avec une très bonne motivation et il en sortait grandit.

Sa rencontre avec Zahikel avait été plus que singulière...
Max n'avait pas tout compris de ce que l'autre lui avait dit. Il parlait bien étrangement avec des mots compliqués. Puis... Puis à vrai dire, Max avait été plus intéressé par les couleurs dansantes dans la poussière que par le discours du bibliothécaire. De toute façon il était persuadé que s'il avait tenté de le faire, il n'aurait tout de même rien compris.

Malgré les faits, lorsque le silence s'était fait, Max avait compris le principal.
Parfois le ton est plus important que les mots. Souvent les intentions sont plus percutantes que la formulation. Et toujours les regards en disent bien plus que n'importe quel discours.
Le regard que Zahikel lui avait porté avait été droit et voulait tout dire. Avec lui, on ne rigolait pas. On sentait tout de suite que cette homme semblait avoir un tempérament trop contrôlé, trop posé, pour ne pas exploser, même si aussi froidement et calmement que cruellement, à n'importe quel moment ! La menace était présente et tout était clair dans le ‘flouesque’ esprit du junkie.

Ce dernier avait pâlit quand le regard de Zahikel était resté un peu trop longtemps à son goût sur ces cheveux. Il avait alors été persuadé que s'il ne faisait pas un effort inhumain, sans aucun doute ses cheveux seraient coupés ! Si ce n'est pas rasés ! Il avait lu la menace dans ce regard franc de son bourreau.
Or ces cheveux, il y tenait bien plus qu'à sa propre vie ! Enfin... qu'à sa propre existence... il est mort, ne l'oublions pas ! Il faut avouer que sa propre existence ne valait pas grand chose à ses yeux. Disons plutôt que sa crinière comptait plus encore que la prochaine dose qu'il allait pouvoir s'enfoncer dans le bras discrètement !


Lorsqu'il revint devant Zahikel une semaine après leur brève rencontre : ce n'était plus le même homme !

Vous y avez-cru ? Non... Je vais pas vous mentir !
Max était aussi propre qu'une pièce d'or du plus avare des voleurs, certes, mais il n'en restait pas moins qu'une petite pièce cabossée et sans valeur. Même s'il avait des vêtements à peu près passables, son allure était misérable. Aucune classe, aucun maintien, rien dans la colonne vertébral, le regard vaseux, et sans doute autant défoncé que la dernière fois.

Visiblement,il n'avait pas tout compris du message.
Mais tout n'était pas perdu, ça prendrait du temps mais il venait de prouver qu'il était prêt à faire des efforts. Certes pour l'instant, contre du chantage – même imaginé par lui-même – mais sans doute viendrait le temps où il ferait ça pour sa propre intégrité.

" Yeah ! J'te plais comme ça Zaïk ? "

Mais bien sur... Ce n'est pas gagné...